Encore une journée au paradis. Je m'assois sur le canapé avec Miss Jekyll dans les bras en soupirant. La télévision, comme un parasite sonore, me rend nerveuse. Comme la plupart de ce qui m'entoure en ce moment. J'attrape la télécommande et coupe l'appareil de trop. Je caresse du bout des doigts le sommet du crâne de mon chat tandis que celui-ci ronronne. Nous sommes en fin de soirée et j'ai passé ma journée dehors. A prendre le soleil, faire une recharge d'ondes positives, parce rien n'est positif dans ma vie en ce moment. J'ai encore mal à mon genou à cause de l'incendie, mais j'ai surtout encore une douleur psychique jusque dans ma chair. J'aurais dû mourir là-bas. J'aurai dû mourir brûlée vive et retourner à la poussière, la preuve que la vie ne tient qu'à un fil. Histoire d'enfoncer le clou, mon conjoint est parti en me donnant une boîte contenant des alliances. Un égoïste, encore un. Une larme roule long de ma joue. Bon sang, il va falloir que je redouble de patience et que je retourne à ces réunions de soutien. Je sens que retourner travailler va prendre encore du temps. Je secoue la tête en séchant la larme sur mon visage d'un revers de main. Il est temps que j'aille me reposer et passer une bonne nuit, j'ai vraiment et mince pour l'heure. Il n'y a pas d'heure, la fatigue n'attends pas.

Un coussin vole à travers la pièce tandis que je m'assois dans mon lit. Je ne trouve pas le sommeil, j'en ai assez. Je regarde le réveil posé sur ma table de chevet. Il est minuit et demi. Bon sang, je ne vais pas rester comme ça. De toute façon, je suis tellement énervée que je ne vais pas pouvoir dormir. Je pose alors les pieds par terre et va rapidement dans la salle de bain. Un bikini bleu nuit trône sur le porte-manteau. Un sourire en coin se dessine sur mes lèvres. Idée. Je l'enfile rapidement et passe une robe légère sur moi. Je prends un sac de plage et mets dedans mon portable, mes clés de voiture, serviette de plage, un gilet et  une bouteille d'eau. Je passe des mules plates avant de sortir du duplex. Je repère mon cabriolet une fois dans la rue et j'attache mes cheveux en un chignon haut avant de m'installer au volant et de poser mon sac sur le siège passager. Le moteur vrombit avant de partir vers la direction du Little Heart Lagoon.

Cet endroit est un morceau de paradis sur Terre. Je suis toujours émerveillée de la beauté du lieu. Les yeux pétillants, je pose mon sac sur la berge et enlève ma robe et mes chaussures. C'est tellement mieux de venir nager dans le lagon au lieu de tourner dans mon lit. Je plonge alors dans l'eau translucide. Je me sens tout d'un coup apaisée, vidée de toute douleur. L'eau qui coule de la cascade s'écrase sur le sol dans un son relaxant. La nuit tombée, des lumières éclairent l'eau qui tombent de la roche. C'est féérique, vraiment. Un peu en retrait de ce rideau d'eau se trouve un rocher dont la particularité est en forme de coeur. Après quelques longueurs, je vais m'allonger dessus, de tout mon long, sur le dos et passe mes mains derrière ma nuque. Je ferme les yeux en soupirant d'aise. Je profite du calme enrivonnant. Pour une fois, je me sens bien. C'est formidable, un vrai régal.

Allongée sur le rocher, mon état de bien-être inhibe ma capacité de percevoir un potentiel danger. Je ne rends pas compte qu'une personne me regarde au loin, dans la pénombre. Soudain, j'entends un aboiement qui vient de l'autre côté de la berge. Un sursaut me fait assoir sur la pierre humide et je cherche la source du bruit. Je vois alors un chien, un berger allemand à première vue -les chiens n'ont jamais été mes amis. A son côté, un homme de grande taille s'avance. J'arrive alors à percevoir son visage. Mon sang ne fait qu'un tour. Bon sang, c'est Liam, si je me souviens bien. J'avoue que je connais mieux les traits marqués de ce visage que son prénom. Cet homme qui semble toujours quelque peu torturé, déchiré par son passé. Les réunions d'un groupe d'expression de stress post-traumatiques peuvent parfois menées à des rencontres surprenantes. Je n'ai échangé que de brèves politesses avec cet homme mais je ne peux que me sentir toute petite à ses côtés. Je crois que physiquement, il m'attire. Dès qu'il est dans la même pièce que moi, j'ai du mal à détacher mon regard de lui. Je me fais violence parce que je ne suis pas dans ce groupe pour le voir. Je me demande parfois pourquoi je suis là-bas... Mais c'est une autre histoire. Je suis sorti de mon état d'ébahissement quand il me souhaite la bienvenue. Je n'arrive à ne faire qu'un hochement de tête mal assuré. Il s'avance de quelque pas et son chien se couche. Je suis un peu soulagée, il a l'air dressé et obéissant. Je m'assois alors sur le rocher, en étendant mes jambes et faire face de loin à Liam. Mon attitude semble plus décontractée qu'un peu. « Ça vous gêne si je viens ? » Je suis une seconde interloquée. Il veut venir s'assoir avec moi sur un rocher taillé en cœur ? J'esquisse un petit sourire moqueur et j'allais lui répondre avant qu'il s'empresse de se reprendre. « Euh dans l'eau, je veux dire ? » J'allais répondre cette fois, mais je suis de nouveau stopper par la vision de son corps à demi-nu devant moi. Je balaye du regard ses muscles dessinés avec presque de l'instance. Je me rends compte que clairement, je le mate et me concentre de nouveau sur son regard, en espérant qu'il n'ai pas remarquer. "Je vous en prie, venez donc." Je me lève et plonge alors dans le lagon. Une fois remontée, je détache mes cheveux blonds avant de les redresser en un chignon plus convenable. Je regarde mon compagnon de nuit de là où je suis, il est encore plus beau d'ici. « Alors, qu'est-ce qu'il vous amène ici, à cette heure tardive ?» Je me rends compte que ma question est un peu bête, histoire de combler le vide. « Des troubles du sommeil, je parie ? » Mon expérience de médecin refait surface. Chassez le naturel, il revient au galop.  Et oui, l'expression d'un stress post-traumatique conduit souvent à des troubles du sommeil, voir à de l'insomnie. J'en suis même la preuve vivante.

Un brin irréel, n’est-ce pas ? Cette rencontre nocturne. Qui plus est avec lui. Un Liam en tenue de sport, suivit de près par son animal de compagnie me salue de loin, ne manquant pas de faire une frayeur, et souhaite venir piquer une tête en ma compagnie. Pourquoi n’aurait-il pas le droit après tout ? Peut-être parce que je ne le regarde pas uniquement comme un homme quelconque. Son corps à demi nu envahit ma vision avant qu’il se cache quelque peu dans l’eau translucide. J’avoue ne pas manquer une seconde du spectacle devant moi. Je plonge alors dans l’eau à mon tour pour refroidir mon esprit embué mais également par politesse. Mes cheveux relevés, j’entame alors une conversation qui semble un peu trop formelle au vue des circonstances. Il faut bien commencer quelque part pourtant. Son chien, de loin, semble nous guetter du regard. Protection envers son maître ou autre ? Difficile à dire, les chiens n’ont jamais été mes animaux préférés. Mon attention se reporte sur le grand blond en face de moi. Il me confie ne pas être un gros dormeur, j’acquiesce en hochant légèrement la tête. « En réalité, je courais et mes pas m’ont mené jusqu’ici... Me voilà. » Un sourire s’esquisse sur mon visage tandis mon regard croise celui de Liam. Je ne suis pas étonné, après analyse, il a l’air d’avoir une parfaite forme physique... « Vous faites beaucoup de sport ? » demandai-je, même si la réponse semble couler de source. Il enchaîne rapidement. « Et vous ? Vous aviez du mal à dormir aussi ? Je veux bien que c’est plutôt calme dans le coin mais c’est pas forcément prudent pour une femme seule. » dit-il d’un ton presque protecteur. Je suis surprise qu’il me dise ça... Le ton moins confiant, plutôt gêné, je continue. « Je n’ai pas un bon sommeil, effectivement... » Un petit rire nerveux s’échappe d’entre mes lèvres. C’est le moins que l’on puisse dire. Je respire doucement pour calmer ma gêne avant de reprendre « Seriez-vous en train de vous inquiéter pour ma sécurité, Monsieur Matthews ? » dis-je en bougeant doucement autour de lui, dans l'eau, sans pour autant le perdre du regard. Jeu de séduction ? Je me surprends à avoir cette attitude, qui me ressemble peu. Comme toutes les femmes, un peu de séduction ne fait pas de mal mais avec lui, j’ai comme ce sens qui s'exacerbe. Il faut que je me calme sinon il va vite le remarquer. Quoi qu’il ne semble pas idiot, je suis certaine qu’il a déjà remarqué. Pauvre de moi...

Moi qui pensait nager seule ce soir... Il faut dire que la surprise est de taille. Nous sommes alors tous les deux dans ce lagon où l’eau est aussi limpide que de l’eau de roche. Nous entamons alors une conversation qui dévie rapidement sur la pratique sportive de Liam. Je lui demande alors s’il court souvent. « Je cours tous les jours, une ou deux fois, mais bien souvent le matin ou tard le soir. » J’hoche alors la tête en signe d’approbation. Je trouve tout de même bizarre que je ne l’ai jamais croisé dans Silverdell... Je connais cette ville comme ma poche, j’y suis née et j’y vis encore aujourd’hui. Surtout que ces derniers temps, avec ce qu’il se passe, je ne suis plus à l’hôpital pour le moment et donc, j’essaie de me remettre des démons. Il me souffle soudain qu’il compatis, je lève alors les yeux. J’esquisse un petit sourire. Je ne suis pas gêné de discuter de ça, je parle de bien pire avec mes patients. Je me suis à nager autour de lui, lentement après qu’il me dise que ce n’est pas prudent d’être seule le soir. Taquinerie oblige, je cherche à quelques peu le faire vaciller de son piédestal mais il est solide, me répondant avec un sourire au coin des lèvres. « Un peu, à vrai dire... Enfin vous faites ce que vous voulez... » Un sourire moqueur se dessine sur mon visage. Il est protecteur, c’est maintenant une certitude. Il reprend rapidement : « Vous sortez souvent, tard comme ça ? » Je m’immobilise avant de m’approcher doucement de lui. « Oui, c’est très fréquent même. J’aime bien la ville quand les rues sont vides, les places désertes. C’est un peu hors du temps et du rythme effréné dans lequel on vit. » dis-je d’un ton calme. Je plonge lentement mon corps jusqu’à ce que mes épaules soient immergées en le quittant pas du regard. « C’est une pause silencieuse, une parenthèse avec moi-même. » Ai-je une âme de philosophe ce soir ? Sa présence m’inspire, inévitablement. Un petit silence s’installe avant qu’il ne pose une question : « On pourrait peut-être se tutoyer... Je veux dire, vous savez des choses sur moi, et inversement... » J’ai un moment de pause dans mon cerveau. Il est vrai que c’est une suite logique dans notre relation. Je ressors les épaules de l’eau et m’approche encore un peu de lui. Nous sommes à moins d’un mètre de distance. Je retrouve son regard avant de répondre. « Il est vrai que chacun sait de l’autre des sentiments, des pensées que nous ne partageons avec personne. Allons-y alors. » dis-je avant de sourire de nouveau. J’ai soudain une idée. « Dis, est-ce que tu me présenterai ton fidèle ami à quatre pattes ? » dis-je en jetant un regard sur l'animal toujours coucher, sagement. Il est évident que si je veux connaître d’avantage Liam, son chien en est indubitablement une partie importante. Comme moi et Miss Jekyll. Puis cela me permettrai aussi de me familiariser un peu plus avec cet animal que je connais peu.