Pas qu’elle n’avait pas d’amis, mais Riley avait pris cette habitude, quand elle était plus jeune, d’être seule. Problème de timidité et de confiance en soi, sans doute, qui avait fait que ses amis se comptaient en général sur les doigts d’une main. Les choses avaient quelque peu changé depuis, sauf que ses amies les plus proches n’avaient pas franchement les mêmes disponibilités qu’elle. Fatalement alors, quand il s’agissait de vouloir aller au cinéma à la dernière minute, elle trouvait rarement quelqu’un pour l’accompagner. Qu’à cela ne tienne, elle irait seule ! C’est ainsi qu’elle avait quitté son appartement de Tabula Grove pour venir jusqu’au centre ville. Elle était partie pour voir une nouvelle fois Zootopia, qu’elle avait trouvé franchement drôle et bien écrit - malgré les mauvaises langues qui pourraient dire que c’est un film pour enfant - mais arrivé devant le cinéma elle fut déçue de constater que plus aucune séance n’était prévue pour ce film ce soir là. A défaut, elle se rabattit donc sur le film de Leonardo DiCaprio - son idole de jeunesse, mais chut - celui là même qui lui fit gagner son premier Oscar. Bon, en soit l’histoire du film n’avait rien de transcendant à ses yeux et elle avait franchement peur de s’ennuyer. Elle avait vu la bande annonce quelques temps plus tôt et avait l’impression d’avoir eu un condensé de tout le film alors bon… Mais puisqu’elle était là, autant y aller. Et puis bon, s’il avait gagné un Oscar pour son jeu dans ce film, ça voulait bien dire qu’il n’était pas si mauvais que ça… Quoique, elle n’était pas toujours d’accord avec le choix de l’Académie…

Bref, Riley avait résisté à l’envie d’acheter un pot de pop-corn à l’entrée, puis s’était dirigée vers la salle indiquée, s’installant dans la salle presque vide. Au fond, mais pas trop, et surtout au milieu d’une rangée, de sorte d’avoir la meilleure vue sur l’écran. En attendant le début du film, elle avait sortit son téléphone pour jouer à Candy Crush, sans grande conviction. Mais en sentant que quelqu’un s’installait à côté d’elle, elle retint un soupir d’exaspération. Bon sang, la salle était suffisamment vide pour qu’on ne vienne pas l’emmerder ! La jeune femme releva les yeux et tourna le regard vers son nouveau voisin, reconnaissant immédiatement ses traits et sentant l’exaspération monter d’autant plus. « Je préfèrerai ne pas me souvenir. » répondit-elle à son bonsoir. Elle fut tentée d’ajouter une nouvelle réplique cinglante mais il lui colla son pot de pop-corn plein sous le nez, la coupant dans son élan par la même occasion. Rangeant, elle détourna le regard, même si le pop-corn l’appelait fortement. « Non merci. » Elle tourna à nouveau les yeux vers son téléphone, décidée à ignorer l’importun. C’était sans compter sur sa pugnacité, puisqu’il reprit une nouvelle fois et elle lui jeta un regard sceptique en biais. « C’est dingue comme vous savez parler aux femmes. Si j’étais vous, j’éviterai d’aggraver mon cas. » statua-t-elle avec un soupir. « D’ailleurs, pourquoi vous insistez, hein ? Oubliez moi, on s’en portera pas plus mal vous et moi. » Déterminée à ne plus s’occuper de lui, elle ralluma l’écran de son téléphone, mais constata avec dépit avoir perdu sa dernière vie. La poisse…  

   

Riley ne sait pas bien pourquoi, mais ce type l’agace prodigieusement. Peut-être est-elle un peu trop rancunière. Ce n’était pas dans ses habitudes, mais elle n’avait jamais apprécié qu’on se moque d’elle, et c’était ouvertement ce qu’il avait fait lors de leur rencontre. Alors pouvait-on vraiment lui reprocher de ne pas vouloir lui faire la conversation ? Elle tenta de l’ignorer, mais vu qu’il s’était avec obstination installé à côté d’elle et que le film n’avait pas encore débuté, c’était plutôt compliqué. Oh, elle aurait pu prendre ses affaires et se décaler de quelques sièges mais… merde quoi ! Elle était arrivée la première et avait sélectionné sa place avec soin. Ce serait plutôt à lui de bouger. Puis qu’est-ce qu’il était exaspérant avec son sourire. Quand il déclara qu’il était en train de lui présenter ses excuses, elle tourna les yeux vers lui avec un regard sceptiques. « Un conseil, la prochaine fois que vous voulez présenter des excuses à quelqu’un, essayez de vous arrêter à « Je suis désolé », en général ça suffit, et ça vous évitera de vous embourber dans des explications qui gâchent justement vos excuses. » répliqua-t-elle avec un sourire entendu, avant de tourner à nouveau son attention sur son téléphone dans le but manifeste de l’ignorer. La technique ‘Je ne te vois pas donc tu n’existes pas’ ne semblait pourtant pas marcher pour lui puisqu’il poursuivait, arrachant un soupir à la jeune femme qui leva ostensiblement les yeux au ciel.

« Je n’avais pas spécialement envie de voisin, et vous aviez pourtant l’embarras du choix pour un autre siège. » fit-elle remarquer avec un geste vers la salle, quasiment vide. Trois autres personnes s’y étaient installées. « Et si je n’ai pas pris de pop-corn, c’est peut-être parce que je n’en voulais pas. » ajouta-t-elle avec un regard pour le pot, avant de relever les yeux vers lui. « Et pour le reste… c’est si difficile à comprendre que je suis venue ici pour voir un film et pas engager la conversation avec d’autres personnes ? » Mais non, le bougre insistait, lui demandant pourquoi elle lui en voulait. Un nouveau soupir échappa à Riley et son regard se planta à nouveau sur lui. « Peut-être que je suis simplement susceptible et que vous n’êtes franchement pas doué avec les mots. » répondit-elle dans une tentative d’explication. « Quant à vous… Disons que nous sommes effectivement partis sur de mauvaises bases, et je n’ai pas spécialement envie de poursuivre cette conversation. Vous vous êtes excusez, bien. Excuses acceptées. On peut chacun reprendre notre chemin et passer à autre chose, non ? » demanda-t-elle, espérant que le message était suffisamment clair et qu’il lui ficherait la paix.  

   

Il fallait bien le reconnaître, Riley ne lui laissait aucune chance. Mais il était vrai qu’elle était effectivement susceptible - peut-être entre autre parce qu’elle avait des sérieux problèmes de confiance en elle, et les moqueries, même peu sérieuses avaient tendance à la blesser - et Liam était particulièrement doué pour tourner mal ses phrases. Toujours était-il qu’à force de persister il en devenait de plus en plus irritant. N’avait-il pas encore compris qu’elle voulait juste qu’il lui fiche la paix ? La salle de cinéma était pourtant assez grande, mais il persistait à rester à côté d’elle, même après qu’elle l’ait envoyé balader sans ménagement. Quand finalement elle espéra clore la conversation en déclarant qu’il était pardonné, il rétorqua qu’elle n’était pas sincère. Riley ne put s’empêcher de lever les yeux au ciel et de lâcher un soupir. « Oh bah oui, peut-être que je serai surprise. Mais là tout de suite, j’ai juste envie de regarder un film en paix, vous saisissez ? » Nouveau soupir. Sans doute était-elle elle aussi un peu maladroite avec les mots. « Ecoutez. D’accord, j’ai sans doute été un peu dure avec vous. Et vous êtes sans doute un type sympa. Mais là, vous avez dû comprendre que je suis pas d’humeur à parler à qui que ce soit. Alors vous voulez bien, juste regarder le film et me laisser tranquille, s’il vous plait ? » Riley espérait que cette dernière requête lui soit accordée. Par chance, les lumières s’éteignirent au même moment, annonçant le début du film. La jeune femme, souffla un rapide merci et se réinstalla confortablement, en priant que son voisin ne soit pas du genre à commenter le film tout en le regardant, il n’y avait rien de plus irritant pour elle, surtout au cinéma. Mais plus les minutes s’écoulaient, moins elle fit attention à la présence silencieuse de l’homme à ses côtés. Pire, le film, malgré son casting, ne réussit pas à la captiver suffisamment. La fatigue aidant, elle sentit ses paupières devenir de plus en plus lourdes. Elle lutta un moment, en vain, et le sommeil finit par l’emporter. Elle se réveilla presque en sursaut en sentant une main la secouer légèrement. La lumière dans la pièce agressa ses yeux et elle se les couvrit d’une main avant de laisser échapper un soupir frustrer. On avait pas idée à payer une place de cinéma pour s’endormir pendant le film. Elle ne se souvenait même plus d’avoir vu l’acteur principal se faire attaquer par le fameux ours. Sans doute avait-elle sombré avant même que ça ne se produise à l’écran. « Merde. » rouspéta-t-elle pour la forme avant de tenter de rouvrir les yeux et de croiser le regard clair de Liam. Elle se sentait tellement idiote qu’aucun trait d’esprit ne lui vint et elle resta désespérément silencieuse. Pitié, qu’elle n’ait pas dormi sur son épaule, c’était tout ce qu’elle demandait…  

   

Finalement, Liam sembla abdiquer face à son énième demande de la laisser profiter du film tranquillement. Peut-être que le début du film l’avait aidé à prendre sa décision, toujours était-il qu’après que les lumières se soient éteintes, Riley ne fut plus ennuyée par son voisin. Elle n’avait cependant pas prévu que son état de fatigue soit aussi avancé, au point que ses paupières devinrent si lourdes qu’elle n’arriva pas à lutter bien longtemps. Probablement une demi-heure après le début du film, elle dormait pour de bon. Elle fut réveillée par une main lui secouant doucement l’épaule. Se redressant promptement et avec un juron, se rend compte que la séance est terminée, et que Liam Matthews est toujours là. Muette de stupeur, elle l’observa sans savoir quoi dire pour ne pas paraître plus idiote qu’elle ne l’était déjà sans doute. Le grand blond prit les devant, déclarant que ça ne le gênait pas, avant de se reprendre. Riley fronça les sourcils, ne comprenant pas franchement à quoi il faisait référence. Elle n’avait quand même pas… pris son épaule pour un oreiller ? Misère. Fallait-il vraiment qu’une chose comme celle-ci lui arrive après tout ce qu’elle lui avait balancé avant la séance ? Encore une fois, elle demeura silencieuse, ne sachant trop quoi répondre. Il lui sourit et se leva, avant de lui demander si elle avait faim. Quoi ? La question lui paraissait tellement incongrue qu’elle l’observa avec surprise. Mais son estomac la trahit et répondit à sa place avec un grondement sourd qui la mortifia d’autant plus. Le rouge lui monta aux joues, et avant qu’elle ne comprenne vraiment ce qu’il lui arrivait, ses jambes avaient pris les commandes de son corps tout entier et elle se retrouva à suivre l’homme à l’extérieur de la salle de cinéma. Mais qu’était-elle en train de faire au juste ? Dîner avec cet homme qu’elle avait tenter de chasser sans ménagement quelques heures plus tôt alors qu’il s’était installé à côté d’elle dans cette salle de cinéma ? C’était totalement contradictoire. Riley ouvrit la bouche, décidée à lui dire qu’elle allait rentrer chez elle, en lui souhaitant éventuellement une bonne soirée, mais elle n’avait décidément plus aucun contrôle sur son corps, car les mots qui franchirent ses lèvres ne furent pas franchement ceux qu’elle avait décidé. « Et où vous m’emmenez comme ça ? » Désespérant.